Dans les murs de laVille Impériale I
Une Randonnée Urbaine
Mes chers enfants, parents et amis
J’habite, formellement, car chez moi tout baigne en un éternel crépuscule, dans un pays qui se méfie des indices et qui se trémousse indigné chaque fois que la première université (Paris 9) se classe sur la 39ème place de l’index de Shanghaï…Par osmose donc, j’ai reçu avec une réticence outrée la nouvelle que Vienne s’est pointée plus d’une fois en tête des villes les plus plaisantes à vivre. Mais le coup de grâce fut de découvrir, après quelques heures d’énergiques déambulations, que l’endroit qui se devait insignifiant, capitale d’un état à pignon quasi inexistant, reliquat d’un empire depuis longtemps disparu, ne produisant strictement rien, regorgeait de richesses inouïes, matérielles, spirituelles, artistiques et sociales. Ceci rendait ma tâche ô combien ingrate car je veux à la fois instruire et amuser, surtout m’amuser moi-même, étant un peu dans les nuages quant à vos capacités, motivations ou disons disponibilités de lecteurs avertis. Je me trouvais sous la menace de devoir pondre un compte-rendu dégoulinant de superlatifs tel un énorme cône de halva que j’ai vu suinter en couleur dans la devanture d’une pâtisserie à Istanbul. Je préférerais envoyer les photos sans commentaires si je ne craignais que vous désertiez vos devoirs et que vous rappliquiez dans les parages à fond de train. Enfin, par un souci de décence et un désir inassouvi d’équilibre, je m’évertuerai d’assaisonner mes notes avec quelques remarques perfides, quelques insinuations vénéneuses, quelques calomnies bien balancées, le tout prouvant que, malgré mes protestations, j’appartiens d’une manière ou d’une autre à la race humaine.
Thomas Bernhard, le plus grand écrivain autrichien moderne après Robert Musil (qui fut jüdisch versippt, mâtiné de juif, sa femme en étant une) décrivait ses concitoyens comme mesquins, bornés, bigots, malveillants, des nazis dans les langes et dans l’âme, éventuellement tout à fait stupides.
Voila ce qui fait une bonne entrée en matière. Je dois aussi souligner que je fus immensément choqué par un état de propreté exagéré, rues et métro y compris, le ton mellifique du
parler, la rareté des extravagances sonores, le manque de l’odeur d’urine tellement familière pour un Parisien, l’invisibilité des forces de l’ordre et l’absence inquiétante de voyous (les jeunes), de mendiants et de clochards. Je n’ose pas penser quel fut leur sort… De même il n’y a pas de gardiens noirs athlétiques à la sortie des supermarchés, une autre preuve du racisme enraciné des locaux. Par contre on voit de temps en temps des matrones-boudin emmitouflées dans des manteaux noirs jusqu’à la cheville, mais ce ne sont que des Turques….
La nourriture, qualité, quantité, prix (j’ai horreur de la formule « rapport qualité-prix », mais qu’est-ce que je peux faire? je dois hurler avec les loups !) contribua, si je puis dire, à alimenter ma méfiance. Elle est excellente, copieuse, inventive et relativement peu chère. On mange dans des restaurants à clientèle hétéro, je veux dire locaux et pèlerins, des plats succulents à un prix qu’ailleurs, je ne dis pas où, on ne peut
avoir que de la viande de chat ! Je n’ai nulle part vu, ne parlons pas de goûter, une escalope de la taille (34 cm de diamètre !) et de la saveur de celle de Figlmuller.
Je me demande quelle allure devait avoir un porc ayant fourni une telle tranche ?? Et le même plat à la mode veau avec une couverture dorée et ondulée ? Un régal ! La situation est analogue qu’il s’agisse des jambonneaux, de la bière, du goulasch ou des transcendants gâteaux. Je n’en reviens pas ! Qu’est-ce que je suis venu faire ici ? Des économies ? Et la tarte au chocolat du Café Sacher est un étalon mondial !!! Quand aux tartines de Trzesniewski, 100 années de continuité du bistro, elles pourraient se mesurer avec les meilleures tapas de Barcelone … Décidément je soupçonne que le gouvernement de droite (il doit être de droite !!) subventionne les maîtres-queux … sous la table !
La ville est sertie de palais. J’en ai frôlé plusieurs mais je ne suis allé en visiter qu’un, car un si court séjour combiné avec mon âge avancé et l’immensité des mastodontes me donne le complexe du Minotaure. Je ne veux pas être dévoré. Oui, ce fut le Belvédère, construit sur l’ordre et grâce au pécule du prince Eugène de Savoie, un Français gringalet avec des ambitions militaires qui se fit virer comme un malpropre par Louis XIV. Il se vengea sur le Roi Soleil à hauts talons et deviendra le plus en vue des chefs de guerre autrichiens. Les Turcs, il les rossa plusieurs fois d’importance et roua de coups ses anciens compatriotes chaque fois que l’occasion se présenta. Comment, d’une mère empoisonneuse, Olympia Mancini, et d’un père militaire assez médiocre, le Comte de Soissons, qui se fit d’ailleurs tuer par sa femme après l’avoir rendue mère pour la huitième fois !!!! (motif possible), vit le jour un être tellement puissant, discret, courageux, probe, intelligent, assoiffé de savoir et de culture comme le prince Eugène ? Ou l’hérédité ne compte que pour des prunes ? J’ai oublié un petit quelque chose, il était aussi homosexuel, ce qui ruine le mythe selon lequel les homosexuels ne peuvent pas être vaillants sur le champ … de bataille ! Quoi qu’il en soit, après avoir bâti le Belvédère inférieur, où il habita, sur des terres qu’il acheta avec son propre argent, le prince fit construire par le même Johann Lukas von Hildebrand, un autre géant du baroque viennois, le Belvédère supérieur.
Ce palais a quelque chose d’aérien, grâce à l’emploi de larges surfaces en verre, l’articulation élégante de ses amples espaces et son emplacement dans un vaste jardin qui s’étend presque à perte de vue, plus exactement (trop c’est trop !) jusqu’au Belvédère inférieur. Les collections, surtout des œuvres de Klimt et Schiele, sont impressionnantes, mais moi qui adore le loufoque, je me suis attardé dans la salle des têtes à expressions bizarres, les marbres de Messerschmidt. Des têtes à claques d’une certaine manière. Messerschmidt fut copain avec Messmer, un docteur à la mode, sincère et légèrement escroc. Se basant sur des recherches assez farfelues sur le magnétisme animal, Messmer pratiqua une sorte d’hypnose à la chaîne à résultats douteux. Les grimaces que faisaient les patients en traitement inspirèrent Messerschmidt (voir le maître plus bas) vers une sculpture insolite, intense et raffinée… Si quelqu’un voulait reproduire en pierre des tics qui rendent certains d’entre nous (qui ? qui ?) simultanément ridicules et pathétiques, il ne s’y prendrait pas autrement.
Le temps est venu de faire le point. Bien sûr que le titre est un leurre. Il n’y a plus de murs à Vienne et l’empire est mort depuis presque cent ans. Mais les traces sont là, majestueuses et impressionnantes. Un esprit impérial se manifeste chaque fois que des actes d’urbanisme s’imposent et que de grands travaux publics ou privés, alliant la qualité à l’innovation, sont exécutés à un rythme étonnant. En somme, je serais plus que satisfait de monter au pinacle quelques-unes des prouesses architecturalesqui, de par leur nature, se laissent épingler par n’importe qui possédant une paire d’yeux valable. Un certain savoir préalable n’est pas déconseillé. Le plaisir est très économique quant on le compare à un billet au Staatsoper, 362 euros par tête de pipe, et pas moins fascinant. Un excellent système de transports en commun, métro, bus et tram à défaut d’une correcte paire de jambes, vous amènent derechef là où les merveilles de conception, d’envol, d’apparence et d’exécution – palais, musées, églises et maisons patriciennes – sont concentrées d’une telle manière dans le centre historique, qu’on soupçonne les promoteurs, impériaux ou non, d’avoir pensé au tourisme de masse.
J’annonce immédiatement la couleur afin d’amorcer l’atterrissage. Donc d’abord le baroque religieux avec une pléthore de fruits étonnants qui touche à l’apothéose dans la Karlskirche ou Saint Charles Borromée pour les amis. Vienne venait de se refaire un avenir après deux batailles monstres avec les Turcs et une peste coriace. En 1713 l’empereur Charles VI va mettre en selle le vieux cheval de bataille (ce n’est pas facile !) Johann Bernhard Fischer von Erlach qui va y aller de son chant de cygne et s’éteindra sur les remparts. Son fils prendra le relais. Von Erlach, noblesse de mérite et de génie, fut l’homologue à Vienne de ce Christopher Wren à Londres que je vous ai fait connaître avec zèle et sur le vif. Et puis Santo Carlo qui se fit la main, avec succès, sur la peste à Milan moins d’un siècle auparavant fut appelé à la rescousse quand l’epidemie frappa la ville imperiale. L’histoire fait bien les choses, le saint et l’empereur homonyme – the right man in the right place, dans la foulée !
La façade démarre d’une façon tonitruante avec d’immenses citations en hommage à l’architecture grecque, byzantine, romaine (voir les colonnes à la Trajan), et même le baroque romain.
L’intérieur est grandiose. On dirait un opéra de l’espace. L’énorme volume unique est articulé par des zones de lumières d’intensité différente. Les coulées des rayons franchissant en biais les fenêtres circulaires ou traversant en chute libre les coupoles des chapelles latérales génèrent une théâtralité exquise. Les matériaux, marbre, bois, métal, stuc et feuille d’or à profusion, sont travaillés de la manière la plus inspirée. Tout vibre, tout est splendide, tout est prêt pour l’adoration de Dieu et de l’Empereur. Le Saint est partout, présent à toute place et sous tous les aspects. Pour le culte de la personnalité on ne fait pas mieux. Le machin fonctionne jusqu’à aujourd’hui. Les messes font le plein. Ce ne sont pas les églises françaises à trois vieilles et un cul-de-jatte. Antre magique de la foi et de l’opulence, d’une complexité difficile à saisir autrement que par l’empathie, la Karlskirche est miraculeusement imprégnée de spiritualité dynamique. C’est la catharsis à gogo ! Une vraie théophanie prend place dans la fresque géante en trompe-l’œil qui s’étend et qui déborde sur la
coupole ovale à 66 mètres du sol. Dieu, Jésus, la Vierge, Carlo, les Vertus, des anges, beaucoup d’anges, tout le monde est là.
J’ai fait l’escalade d’abord en ascenseur, puis sur une échelle chancelante, tremblant plutôt de peur que d’émotion. Le Saint, quelque peu crispé par l’altitude, grimpait de son côté, vers le centre de la coupole où Dieu père & fils flottaient à l’aise sur des nuages. Le Seigneur se faisait solidement aider par trois anges athlétiques. En descendant, beaucoup plus désinvolte que je suis monté,
j’ai remarqué vers le bas de la fresque un diable, une jouvencelle assez bien de sa personne et un écrivailleur se faisant malmener par un ange maniant violemment une torche. Qui aime bien, punit bien…Le reste sur la coupole de Rottmayr, avec un peu de patience vous le trouverez ici: https://youtu.be/kHJRvlgAD60
Presque deux cents ans après, vers 1900, un groupe contestataire, avec Gustav Klimt, Otto Wagner, Koloman Moser, Josef Maria Olbrich et Josef Hoffmann à leur tête, créèrent un style apparenté à l’Art Nouveau, qui se voulait indépendant de réminiscences. On l’appela le Jugendstil. Ils utilisaient abondamment les décorations végétales et, dans le cas de Wagner, moult motifs géométriques, des matériaux nouveaux, des articulations d’un rare équilibre et surtout ils défendaient le credo de l’art total, une plateforme où architecture, sculpture, peinture et décoration étaient le produit de la même Kunstwille (volonté d’art). Le résultat de cette croisade fut de pourvoir la ville d’un très grand nombre d’immeubles d’une grande élégance, apparentés dans l’esprit mais différents dans l’exécution, Cette diversité créative, qui contraste par exemple avec les imposants mais stéréotypés immeubles haussmanniens des grandes artères parisiennes semblant avoir été pondus par la même autruche, a fait de Vienne une ville unique au monde. L’immeuble appelé Sécession, achevé par Olbrich en 1898 et décoré par la fresque de Klimt en hommage à Beethoven, restera l’icône de cette nouvelle orientation esthétique.
Je propose un petit moment de répit afin de considérer les inscriptions de l’entrée. A gauche sur le mur, Ver Sacrum – le printemps sacré ; tout en haut, Der Zeit ihrer Kunst, Der Kunst ihrer Freiheit –Le temps de votre art, l’art de votre liberté ; et enfin en dessous, Malerei, Architektur, Plastik –Peinture, Architecture, Sculpture. Toute la philosophie du mouvement condensée en quelques formules laconiques. Voilà ce que c’est de dire le tout, vite et clair…hélas, je n’en suis pas là, si jamais …. Aujourd’hui, la Sécession est un musée qui accueille des expositions plus ou moins importantes d’art contemporain comme celle de Sarah Lucas (une artiste très cotée et très fameuse) qui s’est spécialisée dans la manufacture d’organes sexuels d’une taille démesurée. Allons, allons, il ne faut pas jouer à l’innocent ou au prude. Il n’y a pas de sensualité ou même de sexualité non équivoque, mythique, formative à la Sécession? Bien sûr qu’il y en a! La fresque du grand maître Klimt en hommage au grand maître Beethoven en regorge … La grande figure du bestial et poilu Tifeo flanqué à gauche par trois sylphides dans le plus simple appareil, ses filles les Gorgones et à droite par les trois personnifications, matrones riches d’expériences, professionnelles du plaisir, la Luxure, la Volupté et l’Intempérance, quel message émane d’elles autre que la libido? N’importe, que je sois pendu si le pénis de Sarah n’est pas bien sot et insignifiant comme d’ailleurs toute son œuvre, quoiqu’elle est bien en vue dans les tavernes réputées de Tate et Saatchi à Londres.
Et puisqu’on parle de croissance, de fertilité et surtout de désinhibition, pourquoi ne pas dire un mot sur la maison de Hundertwasser qui, faute d’être architecte, fut quand même un partisan de l’art total ? Il avait dans son carquois plusieurs flèches conceptuelles, comme l’utilisation de couleurs vives à distribution syncopée sur les murs ou dans les éléments de soutien, des contrastes chromatiques très forts juxtaposés, l’abandon de la ligne droite et même du plan droit, pour un régime de sinuosités et de rondeurs quasi organiques (Hundertwasser était un féru womanizer), des planchers vallonnés ou même en pente, fallait-il utiliser une corde pour passer d’une pièce à l’autre ? Quant on murs, je n’en sais fichtre rien … car on ne peut pas visiter la maison … et pour coiffer le tout, de la végétation réelle, arbres, et autres espèces vertes croissant sur les toits ou émergeant des fenêtres.
Il y a de l’illustration pour enfants dans son expression-style-conception call it as you like— chose qui ne me dérange pas, car les enfants sont des êtres humains après tout. Le tout reste assez rigolo, même optimiste, et donne lieu à un commerce florissant et envahissant (voir un magasin Hundertwasser qui s’est emparé du parterre de l’immeuble Jugendstil voisin). Tout ceci fait vivre un certain nombre des familles et prouve si besoin est que l’art est avant tout un équivalent monétaire fluide et progressif ! Quand même, un coup de pinceau à répétition s’impose car les couleurs se fanent plus vite que les pétales d’une rose…
En fin de compte, on approche le dénouement, il semble qu’aujourd’hui aussi bien qu’hier, Vienne soit un paradis pour les architectes, paradis et laboratoire ! Les projets époustouflants font légion, mais aucun ne me fit plus d’impression que celui du Gazomètre, surtout à cause de sa méga-combinaison entre l’ancien et le nouveau menant à un produit où le tout est plus grand que la somme des parties. Je m’explique. Les gazomètres étaient des bâtisses industrielles cylindriques géantes érigées à la fin du XIXème siècle où on conservait le gaz de ville (le reste dans Wikipedia). En 1984 on pensa les raser car ils n’avaient plus de raison d’être. La technologie avait changé. Leur agencement formel était superbe. La fonctionnalité généra une beauté exemplaire, claire et rassurante. Il suffit de suivre le rythme de la progression des ouvertures à la verticale pour se rendre compte qu’on n’est pas loin du nombre d’or. In extremis on décida de sauvegarder ces autels de la caléfaction et quatre grands architectes furent sollicités pour les transformer en unités d’habitation.
Coop Himmelb(l)au réussit un coup de maître avec le gazomètre B. Non seulement il peupla la coquille d’une foule d’appartements étagés, de taille différente (parmi lesquels un foyer pour étudiants et de riches facilités sociales), mais il y ajouta un formidable volet extérieur. Celui-ci, un immeuble géant de vingt-deux étages, tout en verre, avec un imposant épanchement à la base, ayant la forme d’un immense pilastre brisé, fut surnommé le Bouclier.
Je n’ai rien contre. L’ensemble du cylindre et du prisme (deux prismes plus précisément formant le pilastre), solidement unis par une haute passerelle, donnèrent une image symbolique de continuité culturelle.
En entendant Coop, en réalité Wolf Prix – Coop Himmelb(l)au étant le nom de guerre de deux associés : Wolf Prix et Helmut Swiczinsky – chantant les louanges de l’hybride, sa beauté et sa valeur socioculturelle, on dirait presque un discours électoral! Bien sûr que le gazomètre B et son « appendice » coûtèrent dix fois plus cher que de construire deux immeubles d’habitation sans chichis l’un à côté de l’autre. Mais alors que fait-on de l’art et du message ?
Vit-on bien dans les mastodontes ? Va savoir … Quoique la beauté des immeubles viennois depuis le commencement du XVIIIème est remarquable, on chuchote qu’à cause des très hauts plafonds ils sont très difficiles à chauffer. Ceci a poussé, paraît-il, les habitants à se réfugier les jours d’hiver dans les cafés où un grand poêle combiné avec moult chaleur animale produisait une température agréable … Ce qui explique la prolifération d’institutions aussi remarquables et renommées que Sacher, Demel, Havelka, Central, Mozart, Savoy …. bref, la liste est longue……. mais la formule est la même: excellents plats, gâteaux délicieux, accueil poli et surtout de L’ESPACE, DE L’ESPACE …
comme au Savoy où je me suis senti très à l’aise malgré sa clientèle gay exclusif et son miroir, le plus grand d’Europe…..
Et puisqu’on parle des institutions, j’ai la quasi-certitude qu’une Yeshiva se trouve dans le voisinage de la Nestroyhof, la station de métro près de laquelle j’habitais. Mais je doute que des religieux véritables vont nidifier et éventuellement étudier la Thora dans cette ancienne pouponnière SS qu’est l’Autriche. En prenant en ligne de compte que ces individus plus
ou moins barbus ont une mine nettement plus éveillée que celle de leurs cousins en Israël – et sans aucun doute ils sont dans une condition physique supérieure -, je soupçonne, sans aucune preuve bien sûr, mais avec une vraie conviction, à la manière de la presse engagée, qu’ils font partie d’une congrégation, essaim, cohorte, coterie, d’agents secrets camouflés en pères de famille. Le Mossad est là et il assure la protection des reliques de la fameuse communauté israélite locale. In Memoriam et Alléluia !
Je veux finir cette interminable homélie sur une note un peu plus sérieuse que j’appellerai l’histoire de l’aigle à deux têtes.
Ce monstrueux hybride servit d’emblème pendant presque mille années à la maison de Habsbourg, la maison impériale d’Autriche et pour longtemps d’un bidule assez hétérogène aujourd’hui disparu qui s’appela, mine de rien, le Saint Empire Romain Germanique. En nous rappelant que pendant le règne de Charles-Quint, qui s’est étalé comme une pieuvre ou une crêpe (au choix) sur de larges morceaux d’Europe et d’Amérique, le soleil ne se couchait jamais dans les frontières de l’empire, à ce qu’on dit, le monogramme de la maison impériale A.E.I.O.U. (Austriae est imperare orbi universo – c‘est le destin de l’Autriche de régner sur le monde) n’était qu’un symptôme de mégalomanie relative.
Aujourd’hui cette formule n’a pas plus de poids que le nom sacré de Dieu, YAHVE, inscrit en lettres d’or sur le resplendissant autel de Saint Charles Borromée. Malgré la présence suprême d’un Dieu sémite les Juifs locaux durent prendre la route de la chambre à gaz quand même, ce qui montre le peu de confiance qu’on puisse lui faire!
Mais ceci n’est que de la petite histoire… Beaucoup plus important fut le fait que je fus approché par une délégation de plusieurs associations humanitaires, pacifistes, écologistes et de la protection des animaux pendant mon court séjour à Vienne, avec la demande de créer un emblème un peu moins agressif, un peu plus cool que l’aigle à deux têtes sans que je m’éloigne totalement de la tradition. Les pères de famille que j’ai fini par rencontrer m’ont informé en cachette que mon modèle, l’aigle à deux têtes de la Regierunsgebäude (siège du gouvernement), un laideron de 16 mètres de largeur, perché hautement sur des insignes militaires romains, avait subi quelques modifications profondes. On lui a enlevé la couronne impériale, très bien, et on a rasé l’inscription sous-jacente (si vis pacem para bellum – si tu veux la paix prépare la guerre), encore mieux. Apres une profonde réflexion, je me suis décidé à humaniser l’animal en remplaçant ses têtes à bec crochu par celui qui te guide vers l’azur et l’autre qui te pousse dans la fange. Les reconnaissez-vous ?
Je ne veux pas quitter ce long soliloque sans mentionner deux sculptures qui ont fait sur moi une puissante impression. L’une, je ne l’ai pas vraiment vue. Devant la Karlskirche, il y avait une grande boîte en métal avec des photos sur les parois verticales. Est-ce que l’œuvre est dedans ? En cherchant avec obstination (comme c’est étonnant !), j’ai trouvé la photo de la sculpture en plein air. C’est une œuvre de Moore, une des plus sensuelles
qu’on puisse imaginer. Un couple, réduit à des formes essentielles, lignes de force et harmonie. Il n’en faut pas plus, n’est-ce-pas ?
Plus étonnant encore, c’est que Moore en général est une punition, intrinsèquement ennuyeuse et intensivement répétitive. Chaque musée, s’il en a un, le place à l’entrée. Image de marque et de standing. Une espèce de monstre en bronze qui pèse l’éternité même s’il est vide… Mais cette sculpture-là, qui est peut-être dans la boîte, est légère comme un flocon de neige… Pas loin de là, toujours dans le Resslerpark, j’ai rencontré une formidable personnification en bronze, toujours !, de l’épuisement et du désespoir. Le dernier homme, « Der letzte Mensch », par Anton Hanak, doit être le clone de la sculpture que j’avais vue deux jours auparavant au Palais du Belvédère.
Sachez, mes chers, que les sculptures qui représentent beaucoup de holy cash, efforts, temps et investissement d’emblée, et puis espoir de vente, sont fondues dans des séries qui peuvent aller jusqu’à sept exemplaires ou plus. Je pourrais ajouter une masse de détails piquants sur le fait qu’une sculpture continue son autoreproduction après que l’artiste soit depuis longtemps poussière, mais je n’arriverais jamais à finir cette épître. Quoiqu’il en soit (Salve Marcus !), Anton Hanak fut un des grands du mouvement de la Sécession et un éducateur influent pour des générations d’artistes entre 1900 et 1934. Mais retournons au sujet, « Der letzte Mensch » affiche une grande lassitude. Quelque chose d’Icare avant la plongée finale émane de cette figure longiligne, à musculature émaciée, avec la peau entamée par des rides minuscules aussi irrémédiables que le fin réseau de craquelures l’accompagnant et la trop lourde petite tête penchée vers la poitrine. La vieillesse règne et la mort rode.
C’est tout. Le hasard plus qu’un choix conscient fait bien les choses. Je fus heureux de me trouver sans avoir fait un effort particulier au centre d’un espace privilégié créé par les émanations des deux pôles de l’aventure humaine. Les deux étant incorporés, se matérialisant dans des icônes, témoignant l’état d’un état, deux coordonnées humaines, essentielles et anhistoriques, celle du contact avec autrui et celle du départ. Donc si vous allez une fois à Vienne et si vous passez par la Karlsplatz s’il vous plaît, et si les statues seront encore là, vous devrez forcément penser à moi pour un instant, ce qui est le but caché de cette lettre …
Votre père, à Vienne sur les traces de….
PS. Tails of many kinds
Eons passed from the time I toiled on these sequences. Without being a true snake I changed my skin from French to English. Not that it matters, I will always be a kind of foreign interloper in both of them but I found that my meek notes acquire a little bit more punch in English. That explains why boxing is called boxing, for example. Then, let’s face it, my giant post about Vienna, I relate to size, is followed, like a comet by tails, sets of photos stocked in slightly thematic galleries, which may provide some amusement, raise some curiosity or incite to sleep, what for many is not a little blessing.
The photo gallery that follows, plethoric in its own right, will offer the particularly stubborn trajectory of my ambling within Vienna through more and less recognizable stations: Baroque Vienna, Jugendstil, Contemporary Architecture, Food and Cakes, Coffee houses, Hundertwasser and Gazometer at the end. Farewell!
ACROSS THE CITY