Le Pèlerinage du Mécréant, Magh Kumbh Mela 2013
Résumé : mon G-ami L. un ancien Iron Man, surnommé Haparitz et quelquefois Arizona et souvent The Navigator (G peut être lu comme gros, grand, généreux, génial parfois, et grandiloquent souvent – au choix et d’après l’humeur) m’invita à l’accompagner à la plus grande fête du monde, Magh Kumbh Mela, il y a des années de ça. La relation qui suit correspond en ligne générale au texte initial après que je lui aie assené un coup de brosse. Quant au mécréant que je suis il faut que je souligne que je ne suis pas antireligieux. Tout au contraire je
considère qu’on gagne dans la foi une tranquillité qui dépasse des fois celle induite par, disons, le massage thaïlandais! Certainement tout ceci à condition que les illuminés ne s’appliquent violemment à améliorer ou, gare, à sauver les autres de la même manière qu’aujourd’hui, les politically correct s’évertuent à imposer un langage qui aurait fourni un orgasme exquis aux précieuses du temps de Louis XIV. Mais retournons à l’Inde …
Eh oui, mes enfants chéris et mes très chers parents et amis, de tout poil, de toute complexion et de toute confession, j’espère vous trouver frais et dispos, ce matin, enfin matin matiné d’ombre, car la lumière est une variable, c’est tout à fait clair. Donc, je suis heureux de me sentir en une pièce, une seule, entier, plus ou moins de corps et d’esprit, dans une Place des Fêtes en fête. Oui, c’est de Kumbh Mela d’Allahabad que je cause, d’où une petite foule est allée il y a deux jours droit au ciel, après ou avant les ablutions, dans et avec les eaux sacrées de la rivière la plus polluée du monde,à sa confluence et partout ailleurs, holà! Et holà encore une fois car je me suis laissé emporter par le rythme de la séquence verbale et j’ai failli mentionner la cause du carnage. Les futurs bienheureux étaient en train de prendre d’assaut un train, spectacle d’une banalité irrémédiable en Inde où une centaine de corps de tout âge, sexe et complexion, se lancent à corps perdu, comme son nom l’indique et en furie pour passer simultanément à travers une fente prévue pour deux ! Si vous aimez le mouvement et vous avez des nerfs solides, essayez cette adresse, quoiqu’elle ne rende pas les arômes épicées de l’Inde et les autres odeurs:STAMPEDE 3
J’ai eu un avant-goût du malheureux piétinement, classique de la Magh Kumbh Mela qui rempile tous les douze ans, pèlerinage et piétinement j’entends, le jour d’avant. Je me suis fait attraper, ensemble avec The Navigator, happé, incorporé, laminé comme une crêpe, dans un flot humain, qui avançait en dansant le hula hoop, c’est-à-dire en se balançant sur place. Lent et dangereux, le susdit rapide, tanguait comme un canard éméché tandis qu’il se faisait assaillir, viol à venir, doublé de meurtre, par un contre-courant, un sorte de rouleau compresseur à sonnettes, la colonne festive et funéraire des jeeps et des camions décorés avec paillettes dorées et accompagnée par de sombres motards amateurs et nerveux. De quoi avoir une trouille organique…que j’ai éprouvée sans ambage et qui détermina à l’hésitant que je suis une action rapide.
Pour une fois LA FOLIE NE ME DIT RIEN, et j’ai tourné casaque en lâchant froidement Haparitz dans la tourmente…Il s’est consolé en martyrisant de pauvres sâdhus, semi-ascète iconique errant et mendiant, un des plus importants acteurs de cette géante Comedia dell’Arte sans pareille, en les mitraillant avec sa caméra….J’ai quitté LA PLUS, lisez la Kumbh Mela, car comme son nom l’indique elle est la plus grande fête religieuse au monde. Durant un mois elle recrute près de cent millions de participants desquels six ou sept millions, exténués et ravis, se croisent entre eux, dans la journée. J’ai failli les compter…. La Kumbh Mela,
à la fois unique et insurpassable, est du gigantisme pieux à l’épreuve du temps. Elle se réalise dans la sauterie la plus colorée qu’on puisse imaginer avec des effets chromatiques alternant rapidement, comme produits par un ordinateur en folie. La marée des saris rutilants et soyeux s’accorde à merveille avec la turgescence des turbans glorieux de teinte solide ou sertis de petits pois multicolores. Bariolé avec grâce, bigarré de fond en comble, l’ensemble optique est organique, changeant, inattendu et fruit du hasard. Mais par-dessus tout LA PLUS est la rencontre la plus fervente et le pèlerinage le plus sincère, poussant des millions par dizaines sur la route de l’énorme fatigue et du sacrifice financier, dans un effort où joie et paix sont de la partie sauf dans les moments où prise par la panique, la masse, la foule, rue et tue…
La Kumbh Mela est aussi le plus énorme marché du monde où on déballe des images saintes, des vêtements, des milliers de tonnes de nourriture, du haschich (les sâdhus sont de formidables consommateurs), des billets des loteries, des objets d’artisanat, du combustible, surtout du bois et de la bouse de vache sèche, vaches maigres eh !, des bijoux et des prêches continuels dans d’ immenses halles de fortune où les fidèles s’amassent et s’évertuent à écouter la parole divine qui se déverse de la bouche d’un professionnel inspiré à travers des haut-parleurs tonitruants…Un bruit à multiples tonalités et à la hauteur du tumulte assourdissant de la cascade américaine la plus grande se répand dans l’air en couches multiples, mal ficelées qui se combinent dans une cacophonie royale. C’est la pénétration de la conscience profonde par le son. ….Il y a aussi des fakirs, des voleurs, des diseurs de bonne aventure, des acteurs et des danseurs, des yogis et des guérisseurs et beaucoup de soldats armés de fusils d’assaut et de longs bâtons. Donations en tous genres, répétitives et de toute dimension sont fortement encouragées. Sur une surface énorme, surplombée par un vieux fort à l’ouest, fort mort, aux fenêtres béantes d’où le verre s’est depuis longtemps envolé, et par un pont mastodonte en béton servant l’autoroute, hautement perchée au nord, poussent des villes de tentes. Au sud, se devine dans le lointain, dans une sorte de brouillard diffus et fatigué, le Gange de tous les Dieux, bleu argent dans la distance et de suspecte composition marron verdâtre une fois qu’on l’approche. On reconnaît encore des périmètres en tôle ondulée, abritant des toilettes en même matériel offertes par le gouvernement, des étalages, des bastringues enfumées, des halles de conférences et d’exposition, des voies royales poussiéreuses et puis des ponts à pontons, élancés et subtils qui enjambent les multiples bras d’eau, liés ou détachés du fleuve impérial, et qui joignent des aires éloignées à ce pays de la catharsis, du miracle, du happening et du lucre. La poussière, la grosse fumée des brasiers à bois, charbon ou bouse, fours, feux de camps, et cuisinières de campagne ainsi qu’une âcre odeur de fèces, urines, boue, bouc et eau fétide, égouts à ciel ouvert, nourriture et encens, beaucoup d’encens, curry et parfums orientaux produisent une symphonie olfactive inoubliable. Les marchands de guirlandes, un peu fanées, et des couleurs de mascara à emploi immédiat ne font pas défaut….
La raison de ce paroxysme ? Rien d’autre que la célébration et surtout la réactivation du miracle gros et perpétuel, celui qui accorde à chaque quidam ou à la moitie d’un quidam (con-jointe), né(e) coiffé(e) de tirer le gros lot: se laver de tous les péchés et devenir immortel(le). Personne ne parle de la récupération de la jeunesse ou tout simplement des soins dentaires, quoique l’état de la dentition de la majorité de ces mâcheurs acharnés de bétel est déplorable….Mais enfin, miracle et foi vont main dans la main pour ne pas employer une autre expression …Zeus, rafle jeunes filles et jolis garçons sous des formes animalières diverses en côtoyant la bestialité ; Moïse, après s’être livré à la sorcellerie flagrante chez le Pharaon, se sert de son bâton comme d’un marteau piqueur et fait jaillir de l’eau du rocher ; Jésus, l’ancêtre de tous les hippies, fait du surf à pieds nus sur les eaux du lac de Tibériade et le prophète à barbe parsemée, sentant la chèvre, se rue sur sa haridelle Al Buraq du sommet du Mont Moriah au paradis avec l’intention ferme de déflorer un nombre impressionnant de pucelles…A son âge? Je m’abstiens…c’est mieux par les temps qui courent. Ainsi,la race humaine, descendante directe des accouplements incessants des grands singes anthropoïdes agressifs, produit et consomme des miracles sans trêve ni répit ! C’est d’ailleurs sa raison de vivre et sa motivation d’exister car un état terminal pénible pend comme le couperet de la Veuve sur la nuque de chacun. Ça va barder dit l’oracle sans que personne y prête la moindre attention. Ils espèrent, ils attendent le miracle….
Mais enfin, qu’est-ce qui se passe spécifiquement ici dans cette énorme mélasse qu’est Magh Kumbh Mela?…C’est une EPIPHANIE, c’est-à-dire la REACTIVATION D’UN MIRACLE. Les Dieux Hindous (Devas, à droite sur l’image en dessus) et les Démons Asuras (des contestateurs activistes) en vinrent aux mains. Les Dieux et les Démons ont toujours de vilaines affaires. Les mauvaises langues disent que les Dieux fabriquent des Démons afin de démontrer leur force car l’homo sapiens sapiens ne fait pas le poids, quoiqu’il soit d’une certaine manière un créateur des Dieux lui-même. Tout ça tourne en rond, il faut qu’on reste fidèle à l’histoire officielle. L’enjeu du conflit entre les Dieux et les Démons fut une cruche (kumbha) remplie avec l’ambroisie ou le nectar de l’immortalité, quelque chose de très précieux appelé AMRITA. Cet élixir est le résultat d’un barattage sans pareil d’un océan de lait que je soupçonne avoir été l’océan Indien aux temps védiques.* En plein milieu de la mêlée l’agile Dhanavantari le docteur divin, ou le puissant volatile Garuda ou le super–Dieu Indra à membres flexibles, décisions fulgurantes et éclair définitif (la meilleure hypothèse) s’empare de la Kumbha et se sauve…Dieu sait où ! Dans la précipitation quelques gouttes, mais vraiment peu, giclent et atterrissent dans les courants jadis limpides, du Gange et affluents, en quatre endroits.** A Allahabad, drôle de nom pour la Mecque des Hindous, l’arrosage bienfaisant fut plus dense qu’ailleurs, d’où l’augmentation des chances d’un fidèle, femmes y compris, de s’attacher à une de ces gouttes virtuelles bénies et plonger dans l’immortalité comme une pierre, au prix d’une immersion rapide…
Alors s’il vous plaît, pas de réserves ethnocentriques, les miracles se valent, et tous les espoirs sont permis. Les photos qui suivent donneront une vague idée de l’importance et de la vitalité de l’événement qui est de toute autre qualité et magnitude que les mascarades pâlottes ayant lieu sur la Fifth Avenue, la Place Rouge ou les Champs Elysées. Unter der Linden est fermée pour le moment, quant aux Chinois, c’est dans la conquête sans douleurs qu’ils s’investissent.
The Wanderer
* Mon interprétation personnelle est que l’Amrita est le produit final d’un processus d’enrichissement du lait qui compte comme étape préliminaire à la CRÉATION de la RAITA, le plus délicieux des yaourts que j’ai jamais goûtés!
**Je suis un peu penaud de vous dire qu’il y eut à l’origine un contrat entre les Devas et les Asouras pour partager les richesses de l’océan de lait. Il semble que les Bons Dieux n’ont pas respecté l’accord. Et si vous regardez avec attention cette photo, que je suis forcé d’ajouter ici, il semble qu’il y a dû y avoir de l’anguille sous roche (anguille? lisez racisme). Les dieux sont blancs comme la neige et les Asuras noirs comme le péché ???!
MAGH KUMBH MELA 1
MAGH KUMBH MELA 2