Ciangăï, Adjudeni et un peu de géographie familiale
Cher Danarel,
C’est la troisième fois que je me penche sur cette histoire en tentant d’améliorer aussi bien l’habit que la structure. Je n’arrive pas m’abstenir d’ajouter des adagios plus ou moins réels. A l’origine le morceau fut une feuille de route, le numéro onze, a l’intention de mes enfants et éventuellement de mes amis. Il y a des doutes qu’elle ait atteint sa cible mais je n’ai pas la moindre intention de pousser les soins de beauté ou les amendements narratifs jusqu’au bout. Le petit voyage qui fait le sujet de cette feuille provoqua une montée en surface de souvenirs de mon enfance à cause d’une rencontre privilégié avec des êtres excellents et des lieux familiers qui ressemblaient étonnement a ceux que j’ai connu et que j’ai aimé jadis (y compris ma ville natale où la rivière, débordant de temps en temps, arborait le nom infamant de « Cacaina », autrement dit La Merdeuse !). Quoique je suis conscient qu’il s’agit en grande partie d’une échappée onirique je compte sur vous mon ange patron de me garder jusqu’à la fin à l’abri des misérables cauchemars actuels parmi lesquels les tendances « d’oestrogéniser » le langage ou d’appeler les scélérats voyous « jeunes », ne sont pas les moindres. Ha !ha ! Enfin, retournons a notre feuille de route rétrospective.
Mes chers enfants (parents et amis)
Rétrospective élargie de la feuille de route numéro 11
La précision « rétrospective » comporte une certaine dose d’inutilité car je n’ai jamais réussi à travailler sur le vif…Mon pas est trop lent, mon inertie monumentale et mon éparpillement absolu. Allons dans le cœur du sujet sans faire de mal à personne ! En Novembre dernier je suis allé rendre visite à Aurica, l’ancienne aide de J., qui à cause de ses grandes qualités était considérée plus un membre de la famille qu’un appui mercenaire. Je pense même que ce « privilège » était plus un compliment pour la famille que pour elle. On l’aurait autrefois définitie comme une « perle », terme qui n’est plus acceptable aujourd’hui et à juste titre. D’ailleurs imbue de sagesse Zen innée et d’une efficacité remarquable elle était complètement dépourvue de la servilité ou du mimétisme qui allait souvent de pair avec la « perle » du temps des domestiques. Il y a-t-il en a encore des gens de maison autochtones? Les nantis de gauche et les vieillards décrépits qui n’ont pas encore gagné la maison de retraite, un autre terme cocasse, préfèrent (doivent) s’appuyer sur les ressortissants du tiers monde. En voilà des charognards !
Elle, Aurica et son mari Petre F. habitent à Adjudeni, un village voisin de Izvoarele où, invité par un futur prêtre défroqué, j’ai fait une mémorable visite quelques dix ans auparavant. C’est là que je me suis familiarisé avec l’histoire, la dimension et la réussite d’une population catholique dont j’ignorais l’existence – les Ciangăï. Ceci malgré la proximité entre ma ville natale Bîrlad, a quelques 100 km des trois villes qui bordent a l’orient la région où les Ciangăï étaient concentrés : Piatra Neamţ, Bacâu et Roman.
Pour des raisons multiples l’imbécile (brutale, criminelle, malveillante, au choix) administration communiste décida de passer sous silence la présence, dans ce bastion de l’orthodoxie qu’ était la Moldavie, d’une population catholique d’origine hongroise. Pas une seule mention dans les livres d’histoire ou de géographie les mieux fournis. Il s’avère que les Ciangâï étaient les descendants d’une poignée de réfugiés hongrois, probablement des serfs ayant fui de la Transylvanie les aléas de la vie à l’ombre du château, du fouet et du droit de cuissage, quelques six cent ans auparavant. Quoique aussi féroce, le régime moyenâgeux fut infiniment moins étanche que les paradis égalitaires des sociopathes et les serfs purent s’échapper.
Une minorité de Ciangâï emploie encore un patois hongrois comme seconde langue, mais la grande majorité ne parle plus que le roumain. A un certain moment de leurs histoire ils passèrent en masse à la réforme et devinrent « hérétiques » hussites. C’est une feuille de chou sur l’internet roumain catholique qui parle de cette hérésie-là. Ha!ha ! on est toujours l’hérétique de quelqu’un d’autre. Moi-même je suis un hérétique de métier car j’abhorre la mondialisation médiatique comme la dernière des pestilences, attitude qui me transforme derechef dans toute compagnie légèrement bienpensante en pestiféré. Quant aux Ciangâï toujours ensemble, comme un seul homme, quelques 130 années après, ennuyés par le manque d’éclat du rituel reformé, ils regagnèrent le giron alléchant et coloré de l’Eglise Romaine et Apostolique. S’il faut déjà adorer quelqu’un, Dieu par exemple, au moins le faire avec du style. Des sacrés Marranes à l’envers en somme !
La différence entre Izvoarele, une commune bien pourvue, potelée même, sous la domination des sociopathes totalitaires et le souvent miséreux village Moldave crevait les yeux, que Dieu nous garde! Les maisons étaient plus spacieuses, les jardins plus fleuris, les clôtures plus hautes et compactes et les ivrognes moins nombreux. En plus, des centaines d’oies dodues, retournaient seules du pâturage municipal vers minuit à la maison au complet et avec le plumage intact, action inimaginable dans le pays Moldave où le chapardage a une certaine dimension héréditaire et fait partie intégrante de la culture. Je ne vois pas de preuve plus convaincante. Aurica est originaire d’Izvoarele, où son frère vit encore. Il est alcoolique, elle a très honte de lui. Qu’y puis-je? Il n’y pas d’images d’Epinal parfaites !
Je suis arrivé le soir assez fatigué à Roman après un voyage interminable car le train avançait à peine. Ce fut presque impossible de savoir l’heure du passage de l’autobus. Les Roumains, assez aimables de mon temps, sont devenus après un demi-siècle de culture communiste presque aussi chaleureux que …les Français que j’ai rencontré soixante ans auparavant à mon arrivée à Paris! Ils étaient polis (il faut le reconnaitre) et glacials. D’ailleurs un quart de la population et trois quarts de l’intelligentsia* votaient communiste et toute complainte contre les camarades était reçue comme la dernière des obscénités. Depuis là, les anciens Gaulois ont mis de l’eau dans leur vin et sourient servilement chaque fois qu’une superbe Sénégalaise, forte d’un formidable boubou et d’une impressionnante assise, monte dans l’autobus entourée par trois mignons aux grands yeux veloutés. Mais retournons aux Roumains. Si approchés avec une timide question, chapeau à la main, beaucoup vous ignorent royalement, de plus polis soulèvent les épaules sans répondre, d’autres, surtout s’ils sont des fonctionnaires en charge, aboient avec mépris et quelques rares grandes âmes vous feront part de leur ignorance avec bienveillance….Me sentant coincé au crépuscule qui se condensait rapidement j’ai sauté d’une façon démonstrative dans un fiacre, décision de grande sagesse que j’ai répétée au retour d’une manière moins dramatique. Le village était plongé dans une dense obscurité rurale. Il faisait froid, le sol était mou et le brouillard humide me chatouillait le nez. Aurica et son mari m’ont reçu avec cette joie calme et précieuse qui met l’hôte à l’aise. La maison dégorgeait des bonnes ondes. Le souper fut excellent, le lit agréable, la chambre chauffée et puis il régnait partout cet ordre impeccable qui enchante mes neurones et mes neutrons. Oh ! Paradis bourgeois, tellement décrié, combien d’ inestimables trésors tu peux cacher!
Le lendemain nous nous promenâmes dans le village en commençant par rendre visite au Seigneur. Que sa maison, Coborarea Duhului Sfint (La Descente du Saint Esprit) que les indigènes admiraient tellement, fruit d’incalculables efforts et de subtiles manipulations, menée à terme du temps du régime satanique par un prêtre maigre, obstiné et forcément martyre, était laide, mal ficelée, démesurée et conventionnelle… Pour un instant j’ai cru reconnaitre le Patron des Muses dans le plus simple appareil désignant l’église d’une manière qui ne lui seyait pas.
Je fus attristé de voir ce Dieu païen, depuis longtemps décédé, incapable d’apprécier l’entreprise herculéenne du prêtre Dumitru Adamut qui a presque réussi d’achever ce projet géant entre 1973 à 1982 quand à son tour il descendit dans le tombeau, juste avant, ironie du sort, que les deux tours de la façade soient achevées. Tout ceci sur une terre consacrée par plusieurs églises successives, d’abord en bois, ensuite en maçonnerie qui ont précédé l’actuelle et sous un régime qui s’évertuait d’anéantir la foi en emprisonnant les prêtres et en les transformant (à la cravache) en informateurs. Je tiens à informer mes éventuels lecteurs que je persiste dans ma croyance athéiste (sic), que je garde un canine contre l’appareil clérical et que je n’aime pas du tout le Maradona actuel qui a tous les défauts d’un activiste de quartier et se montre d’un opportunisme écœurant. Qu’il mette fin au célibat des prêtres s’il est un hombre !
Mais retournons a Adjudeni. Ce fut Montaigne qui dit “qu’en comparaison à un village de montagne où chaque cabane jouit d’une vue imprenable le village de plaine vole bien bas ” ou ce fut moi ? Peu importe ! Le village lui-même me faisait penser à un cadavre, plus dans sa Gestalt ou son devenir que dans sa nature ou sa substance. La dépouille, exquise ou pas, est affaissée dans la plaine comme une méduse géante au bout du rouleau. Le manque de noblesse du paysage, une vraie table de billard, s’alliait avec les débris pathétiques du passé, les grotesques bâtisses du présent (3.000.000 de Roumains triment à l’étranger pour pondre des manoirs déserts dans leur patelin natal) et les sourdes menaces du futur. Et si les éléphants se détériorent et les résidences se dévalorisent ? Vont-ils jamais retourner ces émigrées temporaires qui ont enterré la meilleure partie de leur pécule dans des murs érigés sur un terrain où la nappe phréatique est à fleur de peau ?
Mais ici et là, surtout sur les encolures, du coté de la rivière où la végétation riveraine est entrecoupée par des zones cultivées, vergers et jardins familiaux, et où le sol joue un peu de la croupe en créant vallons et monticules la monotonie d’ensemble va céder et des zones d’intérêt visuel, presque bucoliques vous jetteront des clins d’œil accompagnés d’un aveu. C’est jusqu’à l’Oural que je resterai, tel semble dire la plaine… Puis il ne faut pas oublier que la méchante saison qui déplumait les arbres, dévêtait les tonnelles, creusait les ornières et émasculait les potagers, était pour quelque chose dans cet air de désolation régnante. Ou était-ce moi ? Quant aux vieilles maisons faites du mélange universel, le torchis, la panacée du pauvre – paille, terre et bouse – peintes en couleurs vives et même stridentes quoique parfois encore pittoresques, elle ont du plomb dans l’aile et du vide dans l’âme. Penchant fortement de côté ou piquant du bec, avec la cour en friche et les fenêtres cassées, d’elles émane le message de détresse d’un bateau qui sombre. Aussi les grandes bâtisses nouvelles à deux ou trois étages, souvent inachevées et d’une laideur offensive constituent une preuve éclatante que le kitsch est l’état naturel de l’homme. Et je dis ceci avec un énorme respect….et pas mal de satisfaction. Les hangars, comme je les appelle avec un rien de tendresse, construits presque tous avant la crise sont difficiles à entretenir, côuteux, impossibles à chauffer et généralement vides car les propriétaires sont au travail ailleurs !
Il n’y a rien de bon à dire ? Mais si, mais si ! Les puits, les bancs publics, sur la voie, devant les portes et les tonnelles, surtout dans les cours, forment un ensemble émouvant dispersé un peu partout à travers le village semblant baliser un passé depuis longtemps évanoui mais qui peut toujours retourner à l’instant présent pour un instant. Leur charme ancien et leur fonction sociale évidente ne manqueront pas d’enchanter le visiteur patient. Les puits surtout me fascinent. J’en avais un dans la cour de la maison de mon enfance. Je ne me rappelle plus s’il était à treuil ou à poulie, mais il avait un toit et une margelle ronde comme ici. Le seau me paraissait le véhicule rêvé pour un voyage dans le monde souterrain à la recherche, bien sûr, du trésor. Grâce à Dieu chez moi le seau manquait mais ceci ne m’empêcha pas de fantasmer copieusement.
La vraie attraction du village, l’icône fidèle d’un état de fait, mélange sagace de paix, amusement, sécurité, décente permanence et agrandissement certain est le CIMETIERE. Loin d’être un enclos où l’arrogance des nantis essayant de se distinguer même après le trépas et la décomposition qui s’en suit, le cimetière bicolore d’Adjudeni offre une image rassurante, à la fois égalitaire et démocratique. La Grande Gueuse ne fait pas de quartier et fait fi des rangs : tout le monde y passe. Même s’il a moins de prétention d’en faire monument national que le CIMETIERE JOYEUX (Cimitirul Vesel) de Sapînta, sa légitimité n’est pas moindre. Il parait que la formule chromatique que j’ai prise d’abord pour une preuve de conspiration israélienne n’est qu’une manifestations locale des choix esthétiques déjà à l’œuvre dans le fameux Cimetière Joyeux de Maramures. Comparés, on réalise qu’il il s’agit plutôt de deux côtés de la même médaille: Sapînta donnant dans le figuratif, Adjudeni optant pour l’abstraction. En conclusion, au beau milieu du village le domaine du repos forcé d’Adjudeni avec ses croix en béton ou en bois, peintes en blanc ou en bleu génère une atmosphère assez paisible, légère même, remarquablement différente de la tristesse agressive des cimetières traditionnels. Chaque nouveau pensionnaire qui arrive de ce village, autre fois intensément bariolé, doit être à l’aise pour s’intégrer grâce à cette clef bicolore aussi bien dans le ciel que dans la terre. In aeternam !
Quelques mots sur mes hôtes s’imposent, n’est pas ? Le hic c’est que c’est terriblement difficile car j’ai peur de glisser dans le kitsch gras duquel je me suis moqué plus haut. Voilà, ils auraient très bien pu vivre dans l’ashram de Gandhi à Sabarmati où on s’évertuait de ne consommer que ce qu’on produisait ou plus près, dans un monastère moyenâgeux sans qu’ils doivent entrer dans les ordres. De la façon la plus naturelle du monde ils créent de l’ordre, et agissent dans l’ordre. Ils ne font aucune chose au delà de ce qui est nécessaire mais ce qu’ils font, est fait parfaitement. Ils vivent dans une autarchie presque complète, dévouent un soin pédant à leur lopin de bonne terre, produisent leur vin, élèvent leurs poulets, distillent leur eau de vie, font leurs conserves d’hiver, cultivent leurs végétaux, cueillent leurs fruits et préparent les meilleurs légumes en saumure de France et de Navarre. Leur cave souterraine à provisions (beci en roumain) à force d’être exemplaire touche à la métaphysique. Ajoutons que leur maison malgré ses dimensions est propre comme un verre en cristal et soignée comme un laboratoire et que les rosiers dans la cour qui longe la rue fabriquent probablement des roses en été. N’est ce pas la description d’un petit paradis ? Leur maison ? Sans qu’elle soit un tour de force architectural elle reflète la sagesse des propriétaires. Elle est plantée d’une façon convaincante par rapport aux sections fonctionnelles de la toute petite ferme. Il n’y a pas d’ outrances stylistiques il y a seulement plus d’espace que nécessaire car les parents ont pensé aux enfants et à leurs familles. Et les enfants se sont envolés, etc…Mais l’essentiel n’a rien à faire ni avec l’esthétique, ni avec l’espace, ni même avec le courageux effort de survie. L’essentiel se réclame des sidérantes qualités psychiques et morales du couple, de leur bonté, leur stoïcisme, le caractère de leur discours, leur humour, leur sens d’ordre, leur calme, leur équilibre, leur manque de jalousie….J’ai rarement rencontré une telle panoplie chez deux personnes en même temps et à l’état naturel. Bizarre !
Allez mes enfants prenez-en un peu de la graine, car pour moi les jeux sont déjà faits ! Nous arrivons au vrai point de départ – celui du retour au temps de l’enfance car un flot de souvenirs remonta en amont et m’investit pendant que je me rapprochais du Siret, rivière paresseuse et traître. Regardez s’il vous plait la carte. Donc Bîrlad, la lignée de papa, j’ai 80 ans, je l’adore toujours, je ne l’ai pas oublié pour une seconde, se trouve au sud et à l’est de ces trois villes – Piatra Neamţ, Roman et Bacǎu (là, la lignée de maman que j’ai admiré à outrance) qui délimitent le territoire Ciangâï. Bîrlad est situé sur la bande de terre entre les deux fleuves, le Siret à l’ouest et le Prut à l’est.
Au delà du Prut c’est la Bessarabie ou ce qu’on appelle aujourd’hui la République Moldave. Les Fs…… venaient de Bîrlad, moi j’ai vu là la lumière du jour à minuit il y a quatre-vingt ans mais je pense que Zalman, le père de papa, était le premier de la lignée à être arrivé dans cette ville. Ce grand-père que j’ai énormément aimé aussi et qui mourut chez sa fille à Roman, un autre haut lieu de géographie familiale en bordure du territoire Ciangâï, m’a légué la fascination de l’ordre. On soutient qu’il était tellement pédant, ordre et propreté, qu’il cirait la semelle de ses chaussures. De l’autre coté les Rs……. (la lignée de maman) venaient de Bacǎu. On prétend que leurs assise intellectuelle était plus épaisse et plus fournie que celle des Fs….. (je ne pense pas que cette comparaison qui implique la possibilité de chevaucher son propre intellect soit tout–à-fait justifié ….quoique les résultats sont là !). Aussi elle peut en froisser certains et c’est recommandable de ne pas la répéter et de faire semblant de l’ignorer.
Quoi qu’il en soit il faut remarquer que j’ai parcouru à travers les années un remarquable périple, un étrange circuit, dans un espace ayant la taille d’un mouchoir. Ce fut un voyage dense et étroit comme un alcool distillé a répétition. Comme je ne suis ni croyant ni mythomane je me contente de mentionner le fait sans chercher causes ou conséquences. La seule chose que je me sens obligé de dire c’est qu’une fois arrivé au milieu du pont qui enjambait le Siret, appelons-le plutôt une passerelle, j’ai découvert sur l’autre bord de la rivière, quelque part dans la brume, d’une façon à la fois vague et précise, grand-père Zalman F. assis à une table au milieu de nulle part, jouant aux cartes avec la grande-mère Frida R. Quoiqu’il n’y avait aucune doute qu’ils n’étaient plus de ce monde depuis plusieurs décennies, je n’ai pas eu la moindre intention de m’alourdir de questions existentielles. Le pourquoi et le comment ne m’ont pas effleuré pour un instant et j’ai contemplé ravi la scène, paré d’un léger sourire.
Ils m’ont aperçu aussi et, sans manifester une émotion particulière ou une grande surprise, ils m’ont gentiment fait signe de ne pas me rapprocher. Apres une seconde d’hésitation et un profond salut, à la japonaise, j’ai fait demi-tour et je suis retourné à la maison de mes hôtes ne sachant pas, jusqu’à aujourd’hui, si les choses eurent vraiment lieu ou si mon imagination m’avait joué un si plaisant tour. De toute façon l’occasion de revoir même pour un fugace moment ces êtres m’ayant comblé d’amour fut une sacré aubaine, je vous assure. Maintenant, des années après, en revoyant cette feuille de route, j’ai compris que fort de mon état privilégie d’avoir été pour chacun d’entre eux le premier (si on oublie ma chère cousine qui me devança des quelques mois en Asie, loin des yeux etc) et, pour un temps, le seul petit-fils, j’ai dû, j’ai pu… manipuler le continuum espace-temps. En un mot j’ai créé une scène qui ne put avoir lieu que dans un univers parallèle facilement reconnaissable par la quantité et la qualité du brouillard (laiteux) environnant, contrastant d’une manière absolue avec la fermeté des contours, la richesse des détails et l’éclat des couleurs de l’image centrale. Il faut que j’ajoute, par acquis de conscience, que ma grand-mère maternelle ne jouait jamais aux cartes et que mon grand-père paternel était un fidèle des dominos. Quant au tabac je peux jurer devant une Haute Cour qu’ils n’y ont jamais touché. Il faut conclure que l’éternité même, engendre toutes sortes de changements, déplacements, parmi lesquels ceux m’ayant donné la chance de prendre cette photo au moment de la rencontre. C’est tout !
Je vous embrasse, votre père
Avec mon infini respect, vénéré patron
The Wanderer
*Discrètement je vous informe que la coterie désigné par ce terme ambigu d’origine russo-polonaise (intelligentcja) est appelé par les experts, d’une façon beaucoup plus exacte, BORÉS ou bourgeois-révolutionnaires et qu’ils sévissent toujours même s’ils ne votent plus communiste…..