Aux Caraïbes, sur les genoux de l’Eternité
Le Cimetière de Morne-à-l’Eau
Reportage dédié à M. Imperator, grand ami et éditeur émérite
Mes chers enfants (parents et amis)
Avant-propos: ce morceau drolatique (il se veut tel) est une vieille histoire, mais son sujet, un cimetière qui est allé au-delà de sa fonction traditionnelle, celle de garder les dépouilles à l’abri des charognards de surface, et éventuellement d’exprimer la détresse (quelquefois la liesse) des familiers,(et pourquoi pas?) gérer une forme de mémoire, a ajouté une autre dimension a sa raison d’être, celle d’une recherche esthétique bien définie, spontanée, à la fois abstraite (division op art) et naïve. Je n’ai pas pu résister à l’appât d’admirer cette interpénétration menant presque a une fusion de deux formes d’art au meilleur de leurs manifestations, et attention, totalement dépourvue d’aucune pensée mercantile. Quoique…
« même en enfer le diable a ses amis » Simone Schwartz-Bart
Si quelqu’un avait eu la bizarre lubie de s’attarder sur la signalétique de mes tendancieuses notes de voyage il aurait pu s’apercevoir que la feuille numéro 10 manque. Elle devait être dédiée à Angkor Vat, en particulier, et à la démence créative des Khmers du moyen-âge en général. Cette frénétique activité a triple volet –conceptuel, rituel et artistique – prit un tel essor, conquis des telles hauteurs et déploya une telle vitalité, dans une atmosphère d’épais mystère quant aux moyens, origines et motivations, que mon cheval de bataille, nourri de moqueries sinon de sarcasme cru, refusa d’avancer. Allons, allons ne soupirez pas de soulagement car si rien de terrible n’arrive dans les prochains mois je retournerai à Angkor en chair et en os.
Ainsi pour se détendre un peu de ce commencement sinistre quoique émouvant je vais vous raconter la visite que j’ai faite au cimetière de * Morne à l’Eau, une localité assez décatie, détonante d’insignifiance dans ce haut lieu de splendeur qu’est la Guadeloupe. J’ avais aperçu le cimetière, d’une façon fugace, pendant une des randonnées motorisées que j’ai eues à travers l’île avec mes amis. Il faut que j’avoue qu’il me tapa dans l’œil, un vrai coup de foudre, tellement je le trouvai magnifique et cocasse. Une très belle femme sur hauts talons au bras d’un nabot ( je ne sais pas si on peut encore utiliser ce mot ci ou faut-il dire – petit restructuré ?) ne m’aurait plus amusé. Hélas, pour des raisons que je m’abstiendrai de discuter en public ou même en privé, ayant un certain rapport avec la circulation des corps et des esprits, mes amis n’étaient pas chauds du tout a l’idée de visiter ce lieu de repos sécurisé (nonobstant la richesse du pays en revenants en tout genre, poil ou couleur, car la Guadeloupe tout entière est le résultat d’un mélange sensuel pluriculturel débridé). C’est un pays où il fait bon faire
l’amour. Mais retournons a notre enclos, car cimetière et murette vont main dans la main, il est situé sur une belle éminence en plein milieu de la ville. D’une façon assez bizarre le mot morne signifie dans un français choisi quelque chose de triste, de lugubre, de maussade, de funèbre même comme cette belle et assez envoutante donzelle qui est train de réfléchir sur une colline de mâles minuscules que ses puissantes rondeurs menacent de réduire en pâté. Les bourdons au commencement de l’hiver quand les abeilles soldats se préparent de les poignarder en masse doivent sentir quelque chose de pareil. Par contre dans les Antilles un morne c’est une colline, quelquefois bien boisée et très attirante pour toute
personne à l’âme romantique. Va savoir la raison !!! Je pourrais en avancer quelques-unes mais ce n’est pas le moment. Les images parlent toutes seules et ce n’est pas difficile de comprendre qui est quoi ! Mais des surprises arrivent …
Imaginez-vous mon étonnement de voir le lendemain matin mes amis arrêter le bucéphale et me dire d’un ton égal et dépourvu d’aménité : tu peux aller à la chasse….aux images on s’entendait…Je suis parti a fond de train sachant que je ne devais pas abuser et que mon temps était quand même limité par les lois de la bienséance. Ainsi j’ai mitraillé à gauche et à droite, des gros plans avec une telle énergie et une telle hâte que je me suis attrapé moi-même dans des photos, quoique je
n’avais aucune envie de m’éterniser dans les parages, on me comprends. . Il faut dire que le sourire flottant sur mes lèvres que j’ai surpris sur une des photos était tout à fait de circonstance et ne s’adressait qu’a la camera. Toute comparaison avec certains présidents ayant lamentablement rigolé dans divers lieux de repos final tels Poincaré, Sarkozy et Hollande est nulle et non avenue. Moi qui suis de nature enjoué, j’avais même trouvé sujet de rire dans un classe de marxisme-léninisme que je fus obligé de suivre dans ma jeunesse, comportement qui fut trouvé de mauvais goût, antisocial et réactionnaire et qui aurait pu me coûter cher si Staline n’avait crevé dans la même année ce qui provoqua une certaine confusion bienveillante. Enfin quittons ce sujet et revenons sur terre pour exprimer mon regret de n’avoir pas eu le temps pendant mon séjour dans le cimetière de plonger dans l’intimité des lieux et d’immortaliser en images les liens subtils et profonds unissant les membres d’un caveau familial qui comprenait quelques fois des assemblages résultant de relations adultérines remarquables.
Au-delà de la proximité physique pour ainsi dire, les places sont exigües, la solidarité dans l’au-delà était soulignée délicatement et abondamment par des photos, inscriptions, petits poèmes, tablettes de marbre, angelots en bronze, fleures vraies ou fausses, cierges, et autres bidules, chose qui démontre que les insulaires quoique volages sont fidèles. J’adhère tout à fait au système de relations flexibles et franchement détendues. Et à moi d’accentuer qu’il règne dans l’ensemble malgré l’égarement charnel fameux un grand souci pour la décence et la pudeur contrastant vivement avec les images violemment érotiques à la mode en métropole dès 1563 jusqu’à nos jours comme cette représentation du tombeau d’Henri II et de Catherine de Médicis (un Valois et une italienne !) le dévoile et le prouve amplement. Tout compte fait et entre nous je ne vois pas Elizabeth II et le duc de machin, son mari de pacotille, surtout dans l’état ou ils sont aujourd’hui, tout à fait lamentable, de se mettre en vue de cette manière.
Quoiqu’il en soit je sens que c’est mon devoir de proclamer que ce lieu assez banal et ennuyeux d’ailleurs, je parle du cimetière en général – je suis pour l‘incinération s’il vous plait- prend à Morne-à-l’Eau la dimension d’un véritable happening artistique menant au très rare avènement d’un style d’art naïf abstrait. Je viens de trouver la dénomination exacte tout à l’heure. Les citadins ou les citoyens de la bourgade, peu importe, ont concocté un impressionnant ensemble géométrique et chromatique, étonnement enjoué qui ferait le bonheur et l’honneur de tout artiste OpArt, PopArt etc partout dans le monde.. Vasarely et Agam auront une attaque de voir ça, s’ils sont encore ici-bas ! …Ils en prendront pour leur grade et ils peuvent attaquer les locaux en justice pour plagiat. Qu’a Dieu ne plaise! Il faut reconnaître que une des deux des images qui suivent est par ce pauvre Agam, et l’autre par un local authentique. La consistance des formes, la formule bi-chromatique blanc et noir (consolidée par quelques touches roses ou turquoises) et la cohérence du rythme sont tributaires du fait que le style est la résultante esthétique d’une seule, unique et ô combien importante thématique: l’inévitable disparition. Cette mort sur l’échiquier me fit penser à l’époque glorieuse des années folles, a
Joséphine Baker et au charleston. La vie est un jeu et la mort est une blague ? Pourquoi pas ?
Bien sûr, des vicieux malveillants prétendront à la lueur vacillante, borgne et bornée, du marxisme contemporain, défaillant et sénile, que le grandiose cimetière de Morne à l’Eau n’est que le résultat nocif de la surproduction des biens de consommation, plus spécifiquement du carrelage pour des salles d’eau. Ne croyez fichtre rien de ces pitres savants et pédants, sordides représentants d’une bourgeoisie crasse qui se veut prolétarienne et qui s’avère comme la belle Kristeva, grande féministe, grande maoïste et grande défendante du bandage des pieds des femmes, d’avoir été des agents du NKVD (Oh!the blunt Blunt!) faisant simplement leur sinistre boulot. Devrait-elle faire une psychanalyse ?
J’ai quitté l’endroit ravi et je fus enchanté de voir la joie (effusion des sentiments) de mes amis quand ils m’aperçurent retournant sain et sauf du pays des OMBRES et des MAISONS DE REPOS, en haut de la colline, A VUE PANORAMIQUE!!
Sur les ramparts,
Votre père